06/08/2020

Plus du tiers des espèces de poissons menacées par le réchauffement du climat

On savait déjà que le réchauffement des eaux créera des conditions invivables pour de nombreux poissons adultes. Les auteurs d’une nouvelle étude montrent maintenant que l’effet sera encore plus prononcé pour les embryons et les individus en reproduction. En conséquence, même si l’humanité atteint ses cibles climatiques actuelles, plus du tiers des espèces de poisson ne seront plus adaptées, à la fin du siècle, au milieu qu’elles occupent aujourd’hui.

L’équipe basée en Allemagne a constaté qu’il existe un "effet d’entonnoir thermique" dans le cycle de vie de la majorité des espèces de poissons. Alors que les larves et les adultes non géniteurs résistent relativement bien aux hausses de température, les embryons et les adultes en période de reproduction y sont beaucoup plus sensibles : ces derniers peuvent tolérer, en moyenne, une fenêtre de température moins large de 20 °C. Les chercheurs sont arrivés à cette conclusion en analysant des études déjà existantes portant sur 694 espèces de poissons marins et d’eau douce. Afin de combler certaines données manquantes, ils ont extrapolé les valeurs d’autres espèces génétiquement proches. Les résultats de l’étude ont été publiés dans revue Science"La plus grande sensibilité des œufs et des adultes en reproduction signifie que les poissons marins et d’eau douce vivent bien plus près de leurs limites thermales qu’on le pensait jusqu’à maintenant", juge Jennifer Sunday, une biologiste de l’Université McGill, qui signe une analyse accompagnant la publication dans la revue. Dans le scénario où la concentration de CO2 dans l’atmosphère atteint 1 000 parties par millions en 2100, 60 % des espèces ne peuvent plus réaliser leur cycle de vie entier dans leur environnement actuel. Dans le scénario où la concentration de CO2 revient à son niveau de 2005 à la fin du siècle, seulement 10 % des espèces vivraient ce drame. "Très clairement, plusieurs espèces de poissons, de même que les personnes dont l’alimentation repose sur du poisson sain, bénéficieraient d’une intensification des efforts visant à stabiliser le réchauffement climatique à 1,5 °C, voire moins", écrivent Flemming Dahlke et ses collègues de l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine. Tous les poissons peuvent survivre dans une fourchette limitée de températures. Au-delà ou en deçà ces seuils, ils ont du mal à contrôler le niveau d’oxygène dans leur corps. Lorsqu’il fait trop chaud, leur métabolisme consomme trop d’oxygène ; lorsqu’il fait trop froid, leur corps n’arrive pas à transporter suffisamment d’oxygène vers leurs tissus. Les embryons dont le système cardio-respiratoire est encore en développement succombent à des écarts de température plus faibles. Les adultes qui produisent des ovules ou du sperme doivent quant à eux alimenter un corps plus massif sans disposer d’une meilleure alimentation en oxygène.

Les auteurs de l’article avertissent que leurs prévisions sont probablement conservatrices, car ils ne considèrent pas la désoxygénation, l’acidification, et la fréquence accrue d’épisodes de températures extrêmes que les climatologues prévoient pour les prochaines décennies. Par ailleurs, les poissons pourraient avoir du mal à s’alimenter. L’an dernier, une collaboration internationale de chercheurs, comprenant plusieurs Canadiens, estimait que chaque degré de réchauffement amputerait la biomasse animale des océans de 5 %. Ils associaient ce déclin à un réchauffement des eaux de surface limitant l’apport de nutriments depuis les couches plus profondes.

Alexis Riopel – Le Devoir